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Carnets Du Castrum


#PREMIER

Mais où suis-je ? Qui suis-je ? La tête me tourne. Vertiges. Du béton. Une cour, quatre scènes. Je palpe mon visage masqué et la mémoire me revient, un peu. Des essais photographiques. Cadrage, lumière, vitesse. J’appuie sur le déclencheur, un tourbillon et le trou noir.

Balthazard | 2020

Puis maintenant. Cette cour, ces scènes, ces gens. Des gens nouveaux, futuristes. Que s’est-il passé ? Mon appareil photo dans ma main droite. Ma vision s’éclaircit. Mon nom est Balthazard, je suis un scientifique du XIXe siècle. J’ai inventé la photographie et grâce à elle, j’ai voyagé dans le temps. Je repousse mon chapeau, perplexe.  Une silhouette. Elle s’approche, féminine, ombre grandissante. Une menace ? Non, un sourire. Premier contact visuel, échange d’informations, rapprochement, douceur et plaisir au rythme du va-et-vient de notre partage. Août 2019, les Jeux du Castrum. Yverdon-les-Bains. Amalgame. Soirée d’ouverture. Vertiges à nouveau. Incompréhension, appréhension puis plaisir, excitation, découverte. Je vérifie mon appareil photo. Tout fonctionne. Bien. Je vais pouvoir documenter mon voyage. La nuit tombe. Et soudain ! 


Du son, du son partout. Quatre scènes. Des guitares. Un rond, des gens. Des frissons. Du bruit peut-être, de la musique sûrement. Rien que je ne connaisse. Montée en puissance. Stop. Noir. Bruit de fond. Cette brise sur mon visage. Son calé, son décalé. Batterie. Une vision globale, des visions uniques. Vibration et frisson. Alternance de surprises et d’étonnements. Transe. Plaisir. Tête à gauche, tête à droite, tête au centre, tête devant. Puissance et immersion. Des flashs. Une danse de lumières. 

Une main sur mon épaule. On m’arrache à mon étourdissement. La fille de tout à l’heure. D’un signe, elle désigne mon boitier. « Suis-moi ». Nous traversons la foule, frôlant des êtres dont le regard ne sait où s’accrocher. Où vais-je ? Traversée de la salle de concert. Une porte, deux portes, des escaliers, des pièces qui s’enchaînent. Prendre à gauche, à droite. Une échelle puis une deuxième. Soudain le grand air. Un vent frais me caresse la nuque. Je me redresse et découvre en frissonnant ce qui m’entoure. Tout autour de moi, la vue sur une ville endormie. A mes pieds, une arène. Les scènes, la foule, le son et les lumières. La Colonie de vacances me souffle-t-on à l’oreille. Je m’allonge sur le sol et ponctue cette première soirée au Castrum en déclenchant le mécanisme de mon appareil photo. 

La Colonie de Vacances

#DEUXIEME

Il fait nuit. Un souvenir, un toit, un cliché et moi redescendu. Une errance, des tâches de lumière par ci par là. Ils ont aussi des lampadaires, ici. Je m’engouffre dans une ruelle pavée, un peu désorienté. Quand ai-je dormi la dernière fois ? Un pas, deux pas, trois pas. Quelle heure est-il ? J’ai perdu la notion du temps. L’élastique de mon masque me tire. Je l’ajuste. Soudain ! Une place. Un château, une statue. Des bâtiments et des ombres. Je déchiffre : Place Pestallozi. Tout est calme. Je prends le temps d’admirer la scène et de faire le point. Introspection. Trop d’informations nouvelles pour qu’elles soient nettes.

Frisson. Le froid me transperce. Mon regard est attiré par une silhouette. Une impression de déjà-vu. Oui ! C’est elle ! Elle, la fille de hier. Où va-t-elle ? Elle semble pressée…  Pas rapide. Déjà presque hors champs. Vite. Je me redresse et longe la muraille à sa suite. Sur ma gauche, je devine une deuxième place, une estrade, des petites cabanes. Flashback. Yverdon. La ville où il ne pleut jamais. Festival pluridisciplinaire, Le Castrum. Premier jour. Pour l’instant la ville dort encore, mais vibrera ce soir. Ne perdons pas la fille de vue. Unique point de repère nocturne dans le XXIe siècle. « Balthazard !» chuchote-t-elle.  Elle m’a vu et me fait signe de la rejoindre. « Regarde » souffle-t-elle. Je lève les yeux vers son doigt tendu.

Un son. D’où vient-il ? Un chantier, une grue. Un casque sur les oreilles. Œil attiré par un mouvement là-haut. Là ! Un piano. Un piano suspendu, voltigeant, tenu par un fil à la grue. La première note, cristalline. Tourbillon de sensations. Chair de poule. Mélange entre la délicatesse de l’instrument et les bruits de chantier. Emporté. La musique se développe, évolue, pénètre mon corps, se retire doucement. Passionnée. Délicate. Puissante. Un clavier. Un homme. Il monte, descend, virevolte en apesanteur. Apparition furtive, dessinée par les ombres et la lumière de son piano. Et puis l’aube qui s’installe. La ville se réveille. Mouvement, émerveillement. Rêve. Les spectateurs reprennent doucement contact avec la réalité. Une main sur mon bras. Un souffle dans mon cou. Un regard. Des lèvres sur mon oreille. La promesse d’un peu de repos avant de continuer mes aventures dans cette réalité où les gens se réveillent en pleine nuit pour l’amour de l’art. Quand ma tête se pose sur l’oreiller de cet appartement du Quai, un immense bien-être m’envahit. Mes yeux se ferment et je m’échappe du monde réel. 

Piano Vertical – Alain Roche

#TROISIEME

A nouveau dans la rue. Accompagné cette fois. La fille m’a donné son âme ce matin. Mes idées sont claires. J’avais besoin de repos. Je transpire, le soleil cogne dur sur mon chapeau. Mon masque me colle à la peau. Nous marchons vite. Nous avons rendez-vous. Même chemin, mais inversé. Ruelle pavée et la Place, celle avec la statue. Nous nous arrêtons. Visages familiers. Souvenir de la soirée d’ouverture des Jeux du Castrum. Un salut, échanges de mots. 

Elle se rend à un vernissage. Plastiques, me dit-on. De l’artiste Etienne Krähenbühl. Qu’est-ce ? Je ne connais pas encore cette matière… Guidé par la curiosité, je m’engouffre dans le bâtiment. Un attroupement formant un demi-cercle. Quelques orateurs. Dont l’artiste, j’imagine. Approche furtive, quelques regards assassins quand nos corps se touchent. Les voix raisonnent. Chaleur et moiteur. J’en profite pour faire quelques portraits. Je me retire et prend enfin le temps de regarder autour de moi. 

Couleur. Répétition. Formes disloquées, écrasées, étirées. Répétition de carrés. En carton. Du vert, du jaune, du bleu. De la rondeur, des saisons, de l’évolution. Une certaine constance aussi. De la répétition encore. Même formes, différemment. Du vide. Une histoire. Celle de la consommation quotidienne. Répétée chaque jour, encore et encore. Du plastique, j’imagine. L’histoire d’une année. L’histoire d’un moment. Ce plastique, écrasé en deux dimensions. Mais aussi en trois. Enfermé dans une matière blanche, robuste ; érigé en totem. Objets utilisés, réutilisés, usés, transformés. 

Etienne KrähenbühlCACY

Dehors. Plus tard. Elle m’a retrouvé. Me présente à quelques personnes. Besoin d’un verre. Nous étanchons notre soif. Puis trouvons un endroit calme. De notre tanière, nous admirons deux oiseaux voltiger sur une drôle de structure. Légèreté. Défi des lois de l’apesanteur. L’un d’eux s’élance, plume dans le ciel. Son compagnon s’enroule et se déroule au rythme des percussions. Funambules libres. Cycle éternel. Voici une soirée porteuse de bien belles promesses !


#QUATRIEME

La nuit est tombée. Scène de l’Esplanade, 22h00. Il est bientôt temps de rentrer chez moi. Je sens comme un grattement constant, les lumières sont plus vives. Une sensation d’impatience m’envahit.

Montée en puissance de l’excitation. Bientôt. Mais pas encore. Dans le public. Devant la scène. A gauche. La fille m’accompagne toujours. Nostalgie du départ proche. Ne pas y penser ! Regarder. Renifler. Goûter. Caresser. Emmagasiner des souvenirs. La soirée a défilé. Enchainement de découvertes. Déambulations ici et là. La tête me tourne. Tout est nouveau. Compréhension et incompréhension. Rencontres et partages. Plaisirs et ennuis. Mais toujours, la sensation d’être vivant. Pour l’instant en bas, nous grimperons ensuite investir la Cour du Château. Des bras m’enlacent et me tendent le programme de la soirée. Gaye Su Akyol, Jessiquoi, Throes & The Shine…

Artistes dérangeants, sensuels. Beautés terribles, sans compromis ni filtres. Des guerriers à la conquête de leur public. Des langues étrangères. De l’amour, de la violence. Des sons qui vibrent et réveillent l’animal. Des sons qui vous entourent, vous entrainent et vous noient. Hystérie collective. Tourbillon de couleurs, de sensations inconnues. Battement de cœur. Les filles se déhanchent, les garçons s’avancent. Tambours dans la poitrine. Bam, Bam, Bam. Souffle haché. Fluidité des morceaux. Puissance de la foule, puissance d’un être. Momentum. 

Throes +The Shine

Mes jambes sont encore en mouvement. Impossible de les arrêter. Ici et là, des sourires. Des regards de connivence. Le public est lié. Je reprends mon souffle. Petit à petit. Le silence me blesse. Un souvenir me revient. Des gens, un appareil photo. Pas de photographe. Autoportrait numérique à bras portant destiné à être publié sur les réseaux sociaux. « Essaie », me murmure la fille. Scepticisme. Attrait de la nouveauté.  Accroupi, boitier inversé, je tends mon bras. Le diaphragme se referme. Le grattement s’intensifie.

Jessiquoi

#CINQUIEME

Le moment approche. Je m’efface, je le sens. Je vois la tristesse dans ses yeux. C’est ainsi. Moi aussi, je le suis. Je trouverai peut-être un moyen de l’emmener. Le temps d’une autre création, peut-être. La dernière performance a duré plus que prévu. Nos pas rapides raisonnent. Bruits sourds sur les pavés. Quelques gouttes sont tombées plus tôt. Le temps se rafraîchit. Annonce de la fin de l’été. Nous arrivons à temps pour Contrevent[s].

CONTREVENT[S]

Vu depuis le balcon. Scénographie minimale. Neufs. Trois acteurs, deux danseurs, quatre musiciens. Des respirations, des mots. Des enchainements de mots. Le silence. Un souffle. Des percussions. Des phrases. Du style, de la linguistique. Superposition de corps, de mots, d’images. Clair, obscur. Alternance. Phonétique et travail de la langue. Carnets du carnage. Ecarlate et violent. 

Et ce son ! Aigu, dérangeant d’abord. Qui monte en puissance, striant. Criard. Insupportable maintenant. Ma vue se brouille. Ce son me rappelle, m’entraine. Ouvre le temps et m’aspire. Mon pied d’abord, puis ma jambe. Non ! Mon époque m’apostrophe. Je lutte. Pas maintenant. C’est trop tôt. « Tamara ! », j’essaie d’articuler. Mais ma bouche se fige. Dans un dernier effort, je lance ma main et mes doigts se referment sur son poignet. La fille se retourne. Je parviens à accrocher une dernière fois son regard avant le trou noir. ​


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